La Première Guerre Mondiale, la Grande Guerre (The Great War) a marqué lhistoire par le carnage et la destruction
quelle a causés et par les changements quelle a provoqués dans la société.
Acceptée à ses débuts avec confiance, voire jubilation, cette guerre ne devait durer -pensait-on - que quelques mois :
tout devait être fini pour Noël.
Engagés par patriotisme ou nécessité, les premiers poètes-soldats ne manquèrent pas de faire part de leur
idéalisme, inspiré des récits guerriers des poètes grecs et latins dont léducation classique de lépoque abondait.
Rupert Brooke, Julian Grenfell (citoyen américain engagé dans la légion étrangère par amour pour la France),
Charles Hamilton Sorley, Isaac Rosenberg et Siegfried Sassoon, tous célébrèrent la guerre à ses débuts comme
une expérience purificatrice, voire enrichissante, et insistèrent sur la noblesse du combat pour la patrie.
Cette poésie, en particulier celle de R. Brooke, a servi de propagande politique pour galvaniser les civils et inciter les
jeunes hommes à senrôler. Comme la très célèbre affiche de Lord Kitchener laffirmait : Your Country Needs You
(votre pays a besoin de vous).
Mais dès le début 1916, et surtout la très sanglante bataille de la Somme, ces grandes envolées lyriques sur le
patriotisme, la gloire, lhonneur vont laisser place à des descriptions très réalistes des conditions atroces de vie et de
mort dans les tranchées : plus question de glorifier la mort au combat, lhonneur de mourir pour son pays. Ce nest
plus maintenant que lhorreur de la mort, de lasphyxie par les gaz, des blessures et des mutilations.
Sassoon arrivé sur le front de louest en novembre 1915, Rosenberg en juin 1916 et Wilfred Owen début 1917, vont
renverser les stéréotypes guerriers, démythifier la guerre, chacun à sa façon : Sassoon en utilisant les descriptions
crues, lironie, la satire, le sarcasme, Rosenberg en insistant souvent sur linhumanité de lhomme envers lhomme,
Owen en revenant sans cesse sur la pitié, la compassion quil ressent pour tous ces êtres humains massacrés pour
des raisons qui les dépassent.
Sassoon est sans conteste le plus virulent dans sa dénonciation du mythe de la guerre glorieuse, de lincompétence
du haut commandement (quil ose traiter de salauds incompétents), des civils insensibles, indifférents, hypocrites,
inconscients des atrocités des combats et de la presse quil juge responsable dentretenir dans le pays des idées de
gloire et dhéroïsme bien loin des tristes réalités du front.
Rosenberg va lui aussi donner des descriptions très réalistes des souffrances et de la mort dans les tranchées
(Dead Mans Dump, dépotoir pour morts), tout en privilégiant la réflexion sur limpuissance de lhomme à contrôler
les forces quil a déchaînées.
Wilfred Owen a réussi à dépasser le stade de la colère, de la violence, même si, inspiré par Sassoon, il a, lui aussi,
insisté sur les atrocités et la résignation désespérée des combattants.
Mais pour lui, comme il le dit dans sa préface : Ce livre ne parle pas de héros
Mon sujet cest la guerre et le
malheur de la guerre. La poésie est dans la compassion. La guerre nest ni héroïque, ni glorieuse, elle est faite de
souffrances et rien ne peut lexcuser. Il crie son rejet de toutes ces belles notions dhéroïsme dont la presse et les
politiciens abreuvent les citoyens , par exemple dans Dulce et Decorum est Pro Patria Mori. Il dénonce la futilité de
tous ces gestes religieux qui entourent la mort pour ces jeunes qui meurent seuls dans la souffrance, envoyés à la
mort, condamnés à mourir : Anthem for Doomed Youth.
Sassoon a survécu, Owen est mort le 4 novembre 1918 à Ors . Tous deux ont plaidé pour la réconciliation, Sassoon
dans un poème intitulé Reconciliation, Owen dans, entre autres, Strange Meeting : You are the enemy I killed, my
friend (tu es lennemi que jai tué, mon ami)
Owen a voulu mettre en garde. Dans sa préface il déclare que ses poèmes nont rien de consolatoire,
mais quils doivent servir davertissement pour les générations à venir. Il na pas été entendu, hélas !
Thérèse Fontaine