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Voyage au bout de la nuit est le premier roman de Céline, publié en 1932. Ce livre manqua de très peu le prix Goncourt (de deux voix seulement), mais obtint néanmoins le prix Renaudot. Il s'inspire principalement de l'expérience personnelle de Céline au travers de son personnage principal Ferdinand Bardamu: Louis-Ferdinand Destouches a participé à la Première Guerre mondiale en 1914 et celle-ci lui a révélé l'absurdité du monde. Il ira même jusqu'à la qualifier «d'abattoir international en folie». Il expose ainsi ce qui est pour lui la seule façon raisonnable de résister à une telle folie: la lâcheté. Il est hostile à toute forme d'héroïsme, celui-là même qui va de pair avec la guerre. Pour lui, la guerre ne fait que présenter le monde sous la forme d'un gant, mais un gant que l'on aurait retourné, et dont on verrait l'intérieur, ce qui amène à la trame fondamentale du livre: la pourriture et sa mise en évidence.
Ce roman peut être qualifié par quelques adjectifs:
Antinationaliste: le patriotisme est, selon Céline, l'une des nombreuses fausses valeurs dans lesquelles l'homme s'égare. Cette notion est visible notamment dans la partie consacrée à la Première Guerre Mondiale, au front, puis à l'arrière, où Céline s'est fait hospitaliser.
Anticolonialiste: ceci est surtout visible lors du voyage de Bardamu en Afrique. C'est le deuxième aspect idéologique de cette uvre, et pas le moindre. Il qualifie le colonialisme de "mal de la même sorte que la Guerre"; il en condamne donc le principe; l'exploitation sur place des colons, dresse un portrait extrêmement caricatural des occidentaux là-bas.
Anticapitaliste: ceci se repère naturellement dans la partie consacrée aux Etats-Unis, lors de son voyage à New York, puis à Detroit, principalement au siège des usines automobiles Ford. Il condamne bien évidemment le taylorisme, ce système qui "broie les individus, les réduit à la misère et nie même leur humanité" reprenant sur ce point quelques éléments de Scènes de la vie future (1930) de George Duhamel qu'il a lu au moment de l'écriture de Voyage. Le regard qu'il porte sur le capitalisme est étroitement lié à celui qu'il porte sur le colonialisme.
Anarchiste: à plusieurs reprises, l'absurdité d'un système hiérarchique est mise en évidence? A la guerre, bien sûr, aux colonies, à l'asile psychiatrique...L'obéissance est décrite comme une forme de refus de vivre, d'assumer les risques de la vie. Lorsque Céline, ou plutôt Ferdinand, défend son envie de déserter, face à l'humanité entière, résolument décidée à approuver la boucherie collective, Céline affirme la primauté de son choix devant toute autorité morale.
Ce livre est une source de scandale pour les hommes de son époque, car il est entièrement écrit en langage parlé, voire en argot. L'idée de Céline étant que la langue classique, la langue académique, celle des dictionnaires, est une langue morte. C'est l'un des tout premiers auteurs à agir de la sorte, avec une certaine violence, et ce, dans la totalité de l'uvre. Par ailleurs le langage parlé présent dans ce roman côtoie le plus-que-parfait dans une langue extrêmement précise: l'utilisation du langage parlé n'est en rien un relâchement de la langue, mais une apparence de relâchement. Le narrateur est en effet plongé dans le monde qu'il décrit, d'où la symbiose apparente de son style avec celui des personnages, appartenant presque tous aux populations des faubourgs parlant argot. Mais en tant que descripteur de l'absurdité du monde, son langage parlé doit aussi être d'une grande précision. Si l'argot, les dislocations et autres thématisations gagnent une noblesse chez Céline, le plus-que-parfait ou le lexique soutenu n'en perdent pas en revanche. Ils se côtoient parfois dans la même phrase.
Ce roman se distingue également par son refus total de l'idéalisme: l'idéal et les sentiments, «ça n'est que du mensonge». La question de Bardamu, et par là même, celle de Céline, est de découvrir ce qu'il appelle: la vérité. Celle qui est biologique, physiologique: celle qui dit que tous les hommes sont mortels, et que l'avenir les conduit vers la décomposition, l'homme n'est considéré que comme de la «pourriture en suspens». C'est pourquoi cette uvre peut apparaître totalement désespérée.
Cet intérêt se manifeste en trois points fondamentaux:
C'est un moment unique dans l'histoire de la médecine, notamment par son caractère profondément social et sanitaire.
Les évènements sont toujours perçus d'un point de vue médical: la mort rend simplement visible la pourriture qui était latente et cachée jusque-là.
Ce roman s'impose comme une «forme de la médecine», l'écrivain se trouve être un chirurgien qui découpe et dissèque l'homme, une personne qui observe «la société humaine» et qui procède à la manière d'un expérimentateur.
Ce livre est un roman. Ce n'est pas un témoignage, ni un documentaire, même si celui-ci a une allure autobiographique (rendue apparente par l'utilisation récurrente du «je»). D'où la célèbre formule de Céline: «Transposer, ou c'est la Mort». Cependant, Céline s'appuie sur son expérience professionnelle, de médecin, comme chargé de mission auprès de la Société des nations notamment aux États-Unis et en Afrique. Comme il l'expliquera ensuite: «Je m'arrange avec mes souvenirs en trichant comme il faut».