Un été des années soixante.
Une petite ville française au bord d'un lac, près de la Suisse. Victor Chmara a dix-huit ans et se cache parce qu'il a peur. D'étranges personnages hantent cette ville d'eau, comme ce docteur que l'on surnomme La Reine Astrid... Mais il y a surtout Yvonne, avec son dogue allemand... Une recherche du temps perdu...
Biographie
Patrick Modiano est né d'un père de confession juive d'origine italienne (Albert Modiano) et d'une mère belge, débarquée à Paris en 1942 (Louisa Colpijn mieux connue sous son nom d'actrice de cinéma belge Louisa Colpeyn). Ses parents se sont rencontrés dans le Paris occupé et ont vécu le début de leur relation dans une semi-clandestinité.
Son enfance se déroule dans une atmosphère particulière: entre l'absence de son père -- au sujet duquel il entend des récits troubles -- et les tournées de sa mère, il effectue sa scolarité de collège en pension. Cela le rapproche de son frère, Rudy, qui meurt de maladie à l'âge de dix ans (les ouvrages de Patrick Modiano lui sont dédiés de 1967 à 1982). Cette disparition annonce la fin de l'enfance de l'auteur, qui gardera une nostalgie marquée de cette période.
Il fait ses études à l'école du Montcel à Jouy-en-Josas, au collège Saint-Joseph de Thônes (Haute-Savoie), puis au lycée Henri-IV à Paris. Ayant pour professeur particulier de géométrie Raymond Queneau, un ami de sa mère qu'il rencontre alors qu'il a quinze ans, il décroche son baccalauréat à Annecy mais n'entreprend pas d'études supérieures.
Sa rencontre avec l'auteur de Zazie dans le métro est cruciale. Introduit par lui dans le monde littéraire, Patrick Modiano a l'occasion de participer à des cocktails donnés par les éditions Gallimard. Il y publiera son premier roman en 1967, La Place de l'Étoile, après en avoir fait relire le manuscrit à Raymond Queneau. À partir de cette année, il ne fait plus qu'écrire.
Le 12septembre1970, Patrick Modiano épouse Dominique Zehrfuss. «Je garde un souvenir catastrophique de la journée de notre mariage. Il pleuvait. Un vrai cauchemar. Nos témoins étaient Queneau, qui avait protégé Patrick depuis son adolescence, et Malraux, un ami de mon père. Ils ont commencé à se disputer à propos de Dubuffet, et nous on était là comme devant un match de tennis! Cela dit, ça aurait été amusant d'avoir des photos mais la seule personne qui avait un appareil a oublié de mettre la pellicule. Alors il ne nous reste qu'une seule photo, de dos et sous un parapluie!'» (Interview à Elle, 6 octobre 2003) De cette union naîtront deux filles, Zina (1974) et Marie (1978).
Son uvre
Thèmes abordés
La littérature modianienne est d'abord construite à partir de deux thèmes majeurs: la quête de l'identité (la sienne et celle de son entourage), ainsi que l'impuissance à comprendre les désordres, les mouvements de la société. Ce qui produit un phénomène où le narrateur se trouve presque toujours en observateur, subissant, et essayant de trouver un sens aux nombreux événements qui se montent devant lui, relevant des détails, des indices, qui pourraient éclaircir et constituer une identité. Modiano (ou son narrateur) se montre parfois comme un véritable archéologue de la mémoire, relevant et conservant le moindre document, insignifiant au premier abord, afin de réunir des informations à propos de lui même, de proches ou bien d'inconnus. Certaines pages sont travaillées de façon à sembler être écrites par un détective ou par un historiographe.
Autre obsession modianienne, la période de l'occupation allemande. Né en 1945, il ne l'a évidemment pas connue, mais il s'y réfère sans cesse à travers le désir de cerner la vie de ses parents durant cette période au point de se l'approprier et d'y plonger certains de ses personnages. L'évidente duplicité de la position idéologique de ses parents tend ainsi à faire émerger dans ses uvres des protagonistes à la situation floue, aux limites et profils mal définis (notamment dans la première trilogie, dite «de l'Occupation», que composent ses trois premiers romans).
La question du père
Le thème du père et de la paternité est à part chez Patrick Modiano. D'abord parce qu'il constitue l'épicentre de tout un réseau de thèmes secondaires variables (l'absence, la trahison, l'hérédité...), mais aussi parce qu'il s'agit d'un élément d'autofiction influençant l'ensemble de l'univers se dégageant des écrits. Ce thème est ainsi majoritairement présent en tant que toile de fond aux récits de Patrick Modiano.
Albert Modiano reste une énigme par divers points, et l'écriture permet à l'auteur de les développer de façon libératrice. De sa jeunesse, on ignore quasiment tout, hormis sa participation à quelques trafics. Durant l'Occupation, il vit dans l'illégalité complète et utilise une fausse identité (Henri Lagroux) qui lui permet de ne pas porter l'étoile jaune. Mais le plus troublant reste un épisode dans lequel, après avoir été pris dans une rafle, Albert Modiano est emmené à Austerlitz pour un convoi. De façon surprenante, il sera rapidement libéré par un ami haut placé. L'identité de cet individu demeure floue. On suppose qu'il s'agit d'un membre de la bande de la rue Lauriston, c'est-à-dire la Gestapo française.
Ayant pour habitude de rencontrer son fils dans des lieux hautement fréquentés, comme les halls de gares et d'hôtels, Albert Modiano est toujours préoccupé par de mystérieuses affaires. Patrick décide à l'âge de dix-sept ans de ne plus le revoir. Il apprendra sa mort (jamais élucidée), sans jamais connaître le lieu de l'inhumation.
VILLA TRISTE
Quand ils passaient la nuit à la Villa triste, Yvonne et Victor s'efforçaient de ne pas remuer du tout. Mais on sent bien que la sérénité n'était qu'un leurre. Des années après, le narrateur retourne dans la ville d'eaux et invoque, par intermittence, le souvenir nostalgique et lucide de sa relation avec Yvonne, des gens qui gravitaient autour d'eux, des extravagances de Meinthe, fantôme qui nous guide dans les rues aujourd'hui endormies... Mais ce qui ressurgit avant tout, c'est l'angoisse inexplicable de Victor, qu'il avait espéré apaiser en séjournant dans cette station thermale reculée, à proximité de la Suisse.
CRITIQUE
Quatrième roman d'un auteur jusqu'alors fasciné par les bas-fonds et plus particulièrement par les requins de l'Occupation, "Villa triste" se déroule dans une station thermale fanée. On reproche souvent à Modiano d'écrire toujours le même livre : Il s'agit de méditation sur la fuite du temps et la peur de vivre. Ses personnages principaux sont des éternels intrus hantés par une même recherche de soi. C'est un écrivain au style net, qui a le sens de l'économie, une langue fluide parsemée de petites formules moqueuses pour donner un tour grave, et qui, partagé entre l'ironie et la tendresse, donne un tour léger à ses romans. Grâce à cet équilibre habile, il esquisse les contours d' hommes et de femmes en quête de repères pour supporter leur passé, en quête d'immobilité et de racines. Et si beaucoup de ces personnages de "l'époque" sont ridicules et artificiels, ils ne sont pas tout à fait détestables; peut-être est-ce parce que le mystère qui plane donne un caractère intangible à leurs souvenirs lointains? A l'heure où le marketing littéraire est au pavé de 500 pages, souvent pesant et verbeux, lisez Patrick Modiano pour comprendre ce qu'est une vraie et lumineuse écriture.
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